Louis VII eut une action néfaste aux intérêts de l'Ordre du Temple, et porta atteinte à la conception même que se faisaient les Templiers du pouvoir en Terre Sainte. Arrivé à Jérusalem, Louis VII n'eut qu'une idée en tête : restaurer le droit féodal Franc, rétablir les principes de la monarchie qui selon lui avaient été trop longtemps bafoués en Terre Sainte.
Louis VII un roi peu diplomate.
La politique affichée du roi de France pendant la Seconde Croisade (1146-1149) eut des conséquences graves et inédites à Jérusalem. Elle poussa l'Ordre des Templiers dans une opposition à la dynastie hiérosolymitaine et il faudra attendre l 'accession de Guy de Lusignan au trône de Jérusalem (1186) pour que les Templiers retrouvent leur place aux affaires du royaume.
Dans ces conditions, la position du grand maître Evrard des Barres était des plus inconfortable. Mais loin de s'en inquiéter, il continuait à servir son roi, allant jusqu'à suivre Louis VII quand celui-ci se ré-embarqua pour la France à la plus grande stupéfaction de ses frères chevaliers. Il fallait bien se rendre à l'évidence : l'Ordre avait élu un grand maître royaliste. Seulement, il n'y avait pas que les Templiers qui étaient dépités par la tournure des événements. Il y eut aussi le père spirituel des Templiers, l'abbé de la claire Vallée, Saint Bernard lui-même. Après l'action de Louis VII en Terre Sainte, ressentie comme une véritable trahison, Saint Bernard et les Templiers auront des comptes à régler. Dans une lettre adressée à son oncle, André de Montbard, Sénéchal de l'ordre des Templiers, Saint Bernard révèle le fond de sa pensée : « Je retrouve dans vos lettres le même désir, mais aussi vos craintes au sujet de la terre que Notre Seigneur honora de sa présence et consacra de son sang. Malheur à nos princes ! Dans la terre du Seigneur, ils n'ont rien fait de bon dans les leurs, ils sont rentrés à la hâte, ils exercent une malice inconcevable. » Le projet de Saint Bernard est de créer un nouveau royaume en France qui serait, celui-là, plus favorable à l'idéal porté par l'univers de la Stricte Observance bénédictine. Pour cela, il fallait obtenir l'annulation du mariage de Louis VII avec Aliénor d'Aquitaine
, la puissante duchesse d'Aquitaine. Un obstacle se présentait à ce projet, voire deux : les sages conseillers du roi de France, Suger abbé de Saint-Denis et Evrard des Barres, grand maître des Templiers. Tous deux étaient fermement hostiles à cette annulation qui était dans l'air depuis le retour du roi de la Seconde Croisade. Pour le premier obstacle, c'est André de Montbard, oncle de Saint Bernard et Sénéchal de l'ordre des Templiers - c'est-à-dire numéro deux dans la hiérarchie de l'ordre – qui s'en chargera. André de Montbard écrit en 1149 à Evrard des Barres qui est à Paris auprès du roi. L’objectif est d'éloigner le grand maître de la cour capétienne pour que laissant parler sa rancœur personnelle, Louis VII répudie sa femme. Précisons que Saint Bernard est l'ami personnel d'Aliénor d'Aquitaine et son confesseur. Il était au fait des angoisses les plus intimes de la jeune duchesse et notamment sa crainte d'être stérile. Saint Bernard saura calmer ses angoisses infondées, et l’avenir lui donnera amplement raison. Nous allons citer la lettre d'André de Montbard à Evrard des Barres car elle est un monument de l'histoire française. Avant cela, il faut préciser que dans la cérémonie de l’élection d'un grand maître, les Templiers promettent obéissance au nouvel élu. Mais dans un second temps et au final, on faisait promettre au nouveau grand maître obéissance au couvent. La formule exacte est : « « Commandeur, si Dieu et nous t'avons élu pour maître du Temple, promets-tu d'être obéissant tous les jours de ta vie au couvent et de tenir les bonnes coutumes de la maison et les bons usages ? » Et il doit répondre : « Oui, s'il plaît à Dieu.' » » (La règle des Templiers, élection du Grand Maître, article 220).
Maintenant citons la lettre qui devait éloigner Evrard des Barres du roi de France.
"Depuis que nous sommes privés de votre chère présence, nous avons eu le malheur de perdre, dans un combat, le Prince d'Antioche avec toute sa noblesse. A cet accident en a succédé un second : les Parthes viennent de faire une invasion dans le pays d'Antioche, et sans que personne osât leur résister, ils en ont fortifié les places, y tiennent garnison, et ne paraissent pas devoir s'en dessaisir de longtemps, si Dieu n'y met la main. A la première nouvelle de ce désastre, nous nous sommes assemblés et de concert avec le Roi de Jérusalem, nous avons résolu d'aller au secours de cette Province désolée. Nous n'avons pu fournir, pour cette expédition, que cent vingt Chevaliers, et mille tant Servants que Soudoyés encore nous a-t-il-fallu emprunter, pour leur équipage sept mille bésans à Acre, et mille à Jérusalem. Votre paternité sait à quelle condition nous avons consenti à son départ elle connaît le besoin extrême dans lequel nous sommes d'argent, de Chevaliers et de Servants nous la supplions avec instance de nous rejoindre au plutôt avec tous les secours nécessaires à l’Église orientale, notre mère commune... A peine fûmes-nous arrivés dans le voisinage d'Antioche que le Sultan d'Alep d'un côté, et les Parthes de l'autre, nous ayant investis et resserrés dans l'enceinte de la ville, ravagèrent impunément nos vignes et nos moissons. Pénétrés et accablés de la plus vive douleur à la vue de l'état pitoyable auquel nous sommes réduits, nous vous conjurons de tout quitter pour vous embarquer sans délai : jamais votre présence ne fut plus nécessaire à vos Frères nulle autre conjoncture ne peut rendre votre retour plus agréable à Dieu. De quelque manière que la Providence dispose de nous ne tardez pas que de vous mettre en route. Nous savons qu'il est aussi facile à Dieu de nous délivrer, de la puissance de nos ennemis, que d'un idolâtre en faire un adorateur du vrai Dieu aussi mettons nous toute notre confiance en celui qui nous a lavés de son sang. Si ceux de nos Frères que nous vous envoyons sont en si petit nombre, n'en soyez pas surpris nous voudrions au contraire rassembler et retenir ici, sous vos ordres tous ceux des nôtres qui sont au-delà des mers. La plupart de ceux que nous avions conduits au secours d'Antioche sont morts, et c'est une des raisons pour lesquelles nous ne craignons pas de vous lasser, en vous conjurant encore une fois d'amener avec vous tout ce que vous pourrez de Chevaliers et de Servants les plus capables de porter les armes. Peut être qu'avec toute la diligence que vous ferez, vous ne nous trouverez plus en vie. Usez donc de toute la célérité possible, et de grâce, n'oubliez pas les nécessités de notre Maison : elles sont telles que nous n'avons ni couleurs pour les peindre, ni termes pour les exprimer. Il est aussi de la dernière importance d'annoncer la prochaine désolation de la Terre Sainte au Pape, au Roi de France, aux Princes et aux Ecclésiastiques, afin de les engager à nous secourir en personne, ou à nous envoyer des subsides. Quelques obstacles qu'on oppose à votre départ, nous espérons de votre zèle qu'il les surmontera, puisque c'est ici l'occasion d'accomplir parfaitement nos vœux, en nous sacrifiant pour nos Frères, pour la défense de l’Église orientale et du Saint-Sépulcre. Pour vous, nos très chers Frères, que les mêmes liens et les mêmes vœux doivent rendre sensibles à nos calamités, joignez-vous à votre chef, entrez dans ses vues, secondez ses intentions et fallût-il vendre tout ce que vous pourrez, venez nous retirer du péril : c'est de vous que nous attendons la liberté et la vie. "
Epilogue
C'est son couvent en la personne de son Sénéchal qui le rappelait à ses devoirs. Evrard des Barres, probablement à contrecœur, s’exécuta et se rendit en Terre Sainte avec la troupe des Templiers qu'il avait pu rassembler. Avant son départ, il avait réuni un chapitre général à Paris le 14 mai 1150. Le 13 janvier 1151, Suger, abbé de Saint-Denis, meurt. Le dernier obstacle au projet de Saint Bernard vient de sauter. Le grand maître Evrard des Barres figure comme souscripteur dans un acte daté de 1152 par lequel l'évêque de Tortose remet le château de la ville aux Templiers. C'est bien en Terre Sainte qu'Evrard des barres apprit l'annulation du mariage de Louis VII avec Aliénor d'Aquitaine, le 21 mars 1152 à Beaugency. La duchesse d'Aquitaine se remaria aussitôt le 18 mai 1152 à Poitiers avec Henri II Plantagenet, comte d'Anjou, du Maine, de Touraine, duc de Normandie et candidat à la couronne d’Angleterre.